Le lien entre notre alimentation et les maladies actuelles
Revue Néo Santé
Juin 2011
To’Uluma est un homme originaire de l’île de Boyowa, la plus grande des îles Trobriand, cet archipel océanien situé à l’extrémité orientale de la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Il s’apprête à fêter son 55ème anniversaire.
A 16 ans, il quitta son village natal, situé dans la région de Kiriwina, avec sa centaine d’habitants, pour travailler à Port Moresby, la capitale de Papouasie Nouvelle-Guinée. Cette vie est fort différente de ce qu’il avait connu. Le village est situé dans une plaine fertile du nord de l’île. On y arrive par une longue route plate, partant des lagunes de la côte occidentale. Il est ceinturé d’arbres fruitiers, de palmiers et de la partie encore vierge et intacte de la jungle. Les habitations sont construites en deux anneaux concentriques sur une vaste place ouverte. L’anneau extérieur se compose de maisons d’habitations ; l’anneau intérieur de cabanes servant de greniers dans lesquels on conserve la nourriture. Les habitants vivent relativement coupés du monde extérieur et perpétuent un mode de vie très traditionnel.[i]
Après bientôt 40 ans de déracinement, il revient parmi les siens : des problèmes au cœur l’empêchent de poursuivre son travail dans une cimenterie de la capitale. Il est également sujet à l’hypertension et au diabète de type II, et il présente un certain surpoids.
A sa connaissance, personne dans sa famille, ou même dans la communauté plus large n’a jamais eu de problèmes de cœur. Son grand-père, Mamwana Guya’u , l’ancien chef de la communauté, racontait bien l’histoire de cet homme retrouvé mort, sans traces de blessures, alors qu’il était parti chasser, mais personne ne sait ce qu’il lui était arrivé.
Dans une île toute proche, Kitava, Lindeberg et Lundh[ii] ont confirmé l’apparente absence d’attaques cardiaques, de lésions athérothrombotiques ou d’ischémies cardiaques. Des études similaires ont montré des résultats identiques pour des peuples Eskimos, indiens Navajo, des îles Salomon, Masai, Aborigènes, Bushmen, Pygmées, etc.
L’intérêt d’un mode de vie paléolithique ne se base donc pas uniquement sur des hypothèses fondées sur l’étude de nos ancêtres. Des recherches se concentrent également sur les sociétés de chasseurs-cueilleurs – ou proches du mode de vie des chasseurs-cueilleurs – qui perdurent encore actuellement ou qui ont perduré jusqu’à un temps très proche.
Et ces études convergent vers la conclusion que la prévalence de maladies comme les troubles cardiaques, le diabète, l’hypertension, l’obésité, etc., augmente dramatiquement lorsque ces sociétés adoptent un style de vie « moderne » (comprenez : notre mode de vie), par acculturation ou migration.[iii]
C’est le cas, à titre individuel, pour To’Uluma.
Dans le monde francophone, le mode alimentaire « paléolithique » bénéficie d’une couverture grandissante. Le Dr. Chevallier[iv] faisait récemment la « Une » du Nouvel Observateur[v] en France. Mais il est important de comprendre que la référence à la période paléolithique est une mise en perspective – nullement un argument en soi.
De nombreuses recherches étudient le lien entre tel ou tel aliment et l’apparition de maladies diverses chez des individus. On remarque ainsi des liens : certains aliments favorisent l’hypertension, d’autres le diabète, d’autres encore les troubles cardiaques ou certains cancers. A l’inverse, certains aliments diminuent les risques d’apparition de ces troubles. Des dizaines de milliers de recherches sont publiées chaque année, dans le monde, sur ces thématiques.
En prenant un peu de recul pour se poser la question de savoir quel est le point commun entre tous ces aliments qui provoquent les maladies citées, et le point commun entre les aliments qui permettent d’en réduire les risques, on remarque que les aliments les plus néfastes sont ceux que nous ne consommions pas durant la plus longue période de notre évolution[vi] (produits de l’agriculture : pain, pâtes, céréales, riz, etc. ; et produits de l’élevage : lait, fromage, etc.). On remarque par ailleurs que les aliments les plus bénéfiques pour la santé sont ceux que l’on consommait à cette époque : fruits, légumes, poissons, viande maigre, noix, etc. Enfin, on remarque que les maladies les plus présentes à l’heure actuelle (appelées souvent maladies de civilisation) étaient pratiquement absentes des sociétés primitives.
La référence au mode de vie paléolithique vient donc donner une cohérence à une multitude d’études scientifiques disparates sur la santé et les liens entre maladies et alimentation.
Athérosclérose
L’athérosclérose (épaississement de la paroi intérieure des artères) est typique du vieillissement dans les sociétés occidentales. Et on remarque que les autres mammifères sauvages sont épargnés de ce trouble, tant qu’ils restent dans leur habitat naturel.[vii]
Il y a de sérieuses preuves scientifiques selon lesquelles les céréales favorisent l’athérosclérose. Ce sont les lectines présentes dans les céréales qui sont principalement responsables de cet état. Comme l’explique très bien Robb Wolf[viii], ces protéines ne sont effectivement pas brisées lors du processus digestif normal, et peuvent donc être perçues, par notre corps, comme des « intrus », à l’instar des bactéries, virus et parasites, amenant le corps à se défendre. Les lectines affectent l’intestin grêle et provoquent, de surcroît, une résistance à la leptine, une hormone qui régule les réserves de graisse.
Les céréales les plus riches en lectines sont le blé, le seigle, l’orge, le millet, à savoir les céréales les plus riches en gluten.
Par ailleurs, les céréales sont pauvres en vitamine C, zinc, selenium, flavonoïdes, caroténoïdes, vitamine B12, acide folique, oméga-3, potassium, vitamine D et taurine, tous connus pour prévenir l’athérosclérose.[ix]
Mais les céréales ne sont pas les seuls aliments athérogènes : c’est également le cas du lait, du soja et surtout de l’huile d’arachide.
Problèmes cardiaques et surpoids
Une alimentation « paléolithique » pourrait également prévenir des attaques cardiaques grâce à son faible taux de sodium, ses quantités importantes de fruits et de légumes, ainsi que de protéines, de vitamines (B12, B6, C) et de potassium.[x]
Parmi les chasseurs-cueilleurs, la pression artérielle et l’indice de masse corporelle sont généralement bas, et ne montrent pas d’augmentation avec l’âge.
La sensibilité à l’insuline semble également élevée.
Dans les recherches[xi] de Lindeberg et al. sur les peuples de Kitava, une des îles Trobriand, voisine de l’île de Boyowa, les chercheurs ont montré que la population ne montrait aucun signe de surpoids, d’hypertension, d’hyperinsulinémie, d’ischémie myocardique, d’arrêt cardiaque, ou de malnutrition.
En comparaison avec la population suédoise, les peuples mélanésiens étudiés sont (pour les hommes) en général, entre 20 et 30 kg plus légers. Même si ces derniers sont un petit peu plus petits que les Suédois, il n’en reste pas moins que leur Indice de Masse Corporelle reste largement inférieur.[xii]
Les populations de chasseurs-cueilleurs présentaient un taux de graisse relativement bas, grâce, entre autres, au fait que les protéines représentaient près de 40 % de leur apport calorique. Les protéines ont plus de 3 fois l’effet thermique des glucides et des lipides, et jouent un rôle beaucoup plus important que les deux autres macronutriments en terme de satiété.[xiii] L’étude d’un certain nombre de populations a également montré que la mortalité par attaque cardiaque est inversement proportionnelle à l’apport en protéines.[xiv]
Selon les chercheurs, c’est à la fois l’absence de surpoids (en particulier au niveau de l’abdomen) et l’absence de résistance à l’insuline qui expliquent l’apparente absence de diabète et de maladies cardiovasculaires parmi les populations de Kitava.
Diabète de Type 2.
Il y a déjà plus de 30 ans, un comité d’experts de l’Organisation Mondiale de la Santé avait conclu que l’obésité constituait le risque principal pour les diabètes de Type II[xv]. La situation d’obésité provoque une réduction du nombre de récepteurs cellulaires à l’insuline, conduisant à un phénomène de résistance à l’insuline.
Une alimentation riche en fibres, en sucres complexes[xvi] et en protéines[xvii], associée à un taux d’activité physique important, a démontré sa capacité à réduire les risques de diabète.
Hypertension
De nombreux peuples sur la planète ne connaissent pas les problèmes d’hypertension, qui caractérisent par contre la plupart des sociétés occidentales. Ces peuples ne sont pas génétiquement immunisés contre l’hypertension : lorsqu’ils adoptent un style de vie occidental, par migration ou par acculturation, ils développent en premier une tendance à l’hypertension.
Et bien qu’ils soient originaires de régions au climat fort différent (arctique, forêt humide, désert, savane, etc.), ces peuples ignorant l’hypertension partagent plusieurs caractéristiques, comme une alimentation pauvre en sodium, riche en potassium et en calcium ; et un niveau d’activité physique élevé.
Récemment, une étude a également montré qu’une alimentation riche en protéines avait aidé des individus sujets à l’hypertension à diminuer cette tension, en seulement quatre semaines.[xviii]
Cancer
Comme je le mentionnais dans l’article d’introduction au mode de vie « Paleo » (voir Néo Santé, n°1), on estime que 35 % des cancers ayant entraîné la mort sont causés par des facteurs alimentaires.[xix] Plus largement, des études montrent que 70 à 90 % des cancers sont causés par des facteurs environnementaux, et pourraient donc, potentiellement, être évités.[xx]
Des études internationales montrent que le taux d’incidence de certains cancers diffère fortement d’un pays, ou d’une région du monde à l’autre. Ces différences ne peuvent correspondre à des différences génétiques, puisque des populations qui ont migré présentent, en très peu de générations, une probabilité de développer tel ou tel cancer, caractéristique de leur lieu d’accueil.[xxi] Ainsi, par exemple, les hommes japonais vivant à Hawaï ont 11 fois plus de cancers de la prostate que ceux vivant au Japon ; et les afro-américains ont 10 fois plus de cancers du colon que les Africains vivant au Nigéria.[xxii]
Alors, que manger ?
Il est relativement aisé de s’approcher de la manière de s’alimenter de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs. Il importe de :
- Eliminer les céréales, les produits laitiers et, dans une moindre mesure, les légumineuses, qui n’étaient jamais consommés – ou très rarement – par nos ancêtres de la période paléolithique.
- Eliminer toute nourriture issue d’un traitement (processed food) contenant des grains, du sucre raffiné, des huiles, du sel, et tout additif.
- Répartir vos macronutriments pour que votre apport calorique provienne à 30-40% des protéines, plus ou moins 30 % des glucides et 30 % des lipides.[xxiii] Comparée à l’alimentation occidentale classique, votre alimentation doit être hyper-protéinée, et hypo-glucidique.
- Privilégier, pour les protéines, une source maigre, comme la volaille, le poisson, la viande sauvage et les morceaux maigres des viandes rouges.
- Privilégier, pour les glucides, des aliments à charge glycémique basse[xxiv]. En particulier : fruits et légumes. Pour exemple, la charge glycémique d’une pomme est de 4, alors qu’il est de 37 pour le pain complet. La salade et autres légumes verts ont une charge glycémique de 1, alors que les galettes au riz soufflé ont une charge glycémique de 68 ! Ces dernières provoqueront donc un pic d’insuline dans le sang infiniment plus élevé que des légumes ou des fruits.
- Adopter une alimentation riche en fruits et légumes, noix et baies. Des aliments riches en micro-nutriments à faible charge glycémique, comme les baies, les prunes, les pommes, les melons, les épinards, les tomates, les brocolis, les choux-fleurs et les avocats sont ce qu’il y a de mieux.
- Privilégier une alimentation riche en omega-3, comme l’était celle de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs, et pauvre en omega-6.
- Préférer une alimentation riche en potassium et pauvre en sodium, ce qui a été prouvé comme bénéfique pour réduire l’hypertension, les calculs rénaux, l’ostéoporose, les problèmes cardiaques, etc.
Même si cette alimentation constitue un changement important par rapport à nos habitudes alimentaires, il est beaucoup plus facile qu’il n’y paraît de l’appliquer. De plus en plus de personnes, dans le monde, commencent à manger « Paléo ». Vous trouverez des milliers de recettes sur internet, et autant de blogs différents. Cela n’est pas indépendant des méthodes d’entraînement qui valorisent cette manière de s’alimenter. Principalement, il s’agit du « CrossFit », une méthode d’entraînement dont j’avais parlé dans le premier numéro de cette revue, et dont les salles proposent pratiquement toujours un suivi alimentaire « Paléo ». La méthode d’entraînement « MovNat » est également basée, au niveau alimentaire, sur le modèle « Paléo ».
Par ailleurs, dites vous bien que chaque pas vers cette manière de s’alimenter est déjà un progrès pour votre santé et votre condition physique. Réduire les céréales, féculents, et autres aliments à charge glycémique élevée est déjà positif, même si vous ne les avez pas encore éliminés. Et certains régimes, comme le régime « Zone » du Dr. Sears, peuvent constituer des portes d’entrée vous amenant ensuite à une réelle alimentation paléolithique.
To’Uluma, quant à lui, peut espérer réduire ses problèmes de santé en revenant dans sa petite communauté, sur l’île de Boyowa. Des recherches[xxv] ont montré que 7 semaines après être revenus à un style de vie paléolithique, des Aborigènes australiens diabétiques ont vu des progrès importants en termes de perte de poids et de résistance à l’insuline. Plus largement, il est démontré que même à court terme, une alimentation paléolithique peut améliorer significativement la santé.[xxvi]
Alors qu’attendez-vous ?
[1] Lindeberg, S, Lundh, B. Apparent absence of stroke and ischaemic heart disease in a traditional Melanesian island : a clinical study in Kitava. Journal of Internal Medicine. 1993 ; 233 : 269-275.
[1] Eaton SB, Konner M, Shostak M. Stone agers in the fast lane : Chronic degenerative diseases in evolutionary perspective. American Journal of Medicine.1988 ; 84 : 739-749.
[1] Praticien attaché au CHU de Montpellier, auteur de « Je maigris sain, je mange bien», Fayard : 2011.
[1] N°2422, du 7 au 13 avril 2011
[1] Pour rappel, le temps écoulé depuis l’apparition de l’agriculture ne représente que 0,5% de notre évolution ; durant les 95,5% restant, nous étions « chasseurs-cueilleurs ».
[1] Lindeberg S, Cordain L, Eaton SB. Biological and clinical potential of a paleolithic diet.Journal of Nutritional & Environmental Medicine. 2003 ; 13(3) : 149-160.
[1] Wolf R. The Paleo Solution. The Original Human Diet. 2010 ; Las Vegas : Victory Belt Publishing.
[1] Lindeberg S, Cordain L, Eaton SB. 2003, op. cit.
[1] Lindeberg S, Cordain L, Eaton SB. 2003, op. cit.
[1] Lindeberg, S, Lundh, B. 1993, op. cit.
[1] Lindeberg S, Nilsson-Ehle P, Terént A, Vessby B, Schersten B. Cardiovascular risk factors in a Melanesian population apparently free from stroke and ischaemic heart disease – the Kitava study. Journal of Internal Medicine. 1994 ; 236 : 331-340.
[1] Cordain L, The nutritional characteristics of a contemporary diet based upon paleolithic food groups. Journal of the American Nutraceutical Association. 2002 : 5 (3) ; 15-24.
[1] Klag MJ, Whelton PK. The decline in stroke mortality. An epidemiologic perspective.Annals of Epidemiology. 1993 ; 3 : 571-575.
[1] Zimmet P. Type 2 (non-insulin-dependent) diabetes – an epidemiological overview.Diabetologia. 1982 ; 22 : 399-411.
[1] O’Dea K, Traianedes K, Ireland P, Niall M, Sadler J, Hopper J, DeLuise M. The effects of diet differing in fat, carbohydrate, and fiber on carbohydrate and lipid metabolism in type II diabetes. Journal of the American Dietetic Association. 1989 ; 89 : 1076-1086.
[1] Seino Y, Seino S, Ikeda M, Matsukura S, Imura H. Beneficial effects of high protein diet in treatment of mild diabetes. Human Nutrition – Applied Nutrition. 1983 ; 37A (3) : 226-230.
[1] Burke V, Hogdson JM, Beilin LJ, Giangiulioi N, Rogers P, Puddey IB. Dietary protein and soluble fiber reduce ambulatory blood pressure in treated hypertensives.Hypertension. 2001 ; 38 : 821-826.
[1] Kravchenko JS. Diet and cancer. International Encyclopedia of Public Health. 2008 : 169-181.
[1] Wynder EL, Gori GB. Contribution of the environment to cancer incidence : an epidemiologic exercise. Journal of the International Cancer Institute. 1977 ; 58 : 825-832.
[1] Eaton SB, Konner M, Shostak M. 1988, op. cit.
[1] Doll R, Peto R. The causes of cancer : quantitative estimates of avoidable risks of cancer in the United States today. Journal of the International Cancer Institute. 1981 : 66 ; 1191-1308.
[1] Les chiffres variant d’une étude à l’autre, nous préférons présenter des fourchettes de pourcentage.
[1] Charge glycémique = index glycémique x quantité de glucides dans l’aliment.
[1] O’Dea K. Marked improvement in carbohydrate and lipid metabolism in diabetic Australian aborigines after temporary reversion to traditional lifestyle. Diabetes. 1984 : 33 ; 596-603.
[1] Frassetto LA, Schloetter M, Mietus-Synder M, Morris RC Jr, Sebastian A. Metabolic and physiologic improvements from consuming a paleolithic, hunter-gatherer type diet.European Journal of Clinical Nutrition. 2009 : 1-9.
Inscrivez-vous au site
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 2434 autres membres